Quand, il y a de cela quelques mois, mon ami Gillou m’a contacté pour me demander de faire la RAP (Race Across Paris) 300K en duo avec lui, ça me paraissait tellement hors d’atteinte qu’il m’a fallu plusieurs jours pour en accepter l’idée. Plus de 300 km en moins de 24 heures, je connaissais déjà puisque j’ai parcouru cette distance pour accompagner Thierry un peu plus loin que Marmande avant de revenir sur Castelnau-d’Estrétefonds, mais rien de comparable avec l’aventure qu’il me proposait là. Ce périple là, je l’avais qualifié d’extrême et c’est bien ce qu’il était pour moi à cette époque car j’étais loin de mon niveau actuel, c’était durant l’été, il faisait très chaud, le parcours était pratiquement plat le long du Canal de Garonne et je possédais encore mon vélo de route Van/Rysel que j’ai vendu depuis à Julien. S’il manque quelques kilomètres à la RAP pour établir un nouveau record de distance, le dénivelé positif est très probablement le plus important que j’ai réalisé depuis que j’ai repris le vélo ces dernières années, même si j’ai grimpé bien plus haut quand j’étais plus jeune.
De nombreux problèmes ont perturbé ma préparation : ennuis de santé, quelques chutes et casse de matériel ayant également entraîné de petites blessures à répétition sans compter un budget plutôt serré pour se lancer presque sans filet dans une telle aventure. La malchance n’a pas épargné non plus mon binôme puisqu’il est tombé et s’est blessé trois jours après moi. Il y a quelques semaines, j’ai même cru que nous allions devoir renoncer pour de bon et à ce moment là, j’étais davantage dans l’état d’esprit de raccrocher pour de bon que d’aller conquérir un trophée de renommée. Je crois bien que c’est mon ami alsacien Philippe qui a su trouver les mots pour me convaincre de ne pas le faire, me rappelant au passage la très belle histoire de Robert Marchand qui a pédalé jusqu’à son 107ème anniversaire. A l’évidence, j’avais encore le temps de penser à la retraite sportive. Merci Phil pour ces ondes positives, tu avais raison : on l’a fait !
Retour en arrière pour en revivre cette aventure dont j’ai encore du mal à être fier…
J’ai eu beaucoup de mal a trouver le sommeil la veille du départ à Paris. Pour une fois, j’avais soigneusement préparé toutes mes affaires les deux jours précédents, le vélo étant prêt depuis bien plus longtemps et en conformité avec les normes imposées par l’organisation de la RAP. Malgré cela, le subconscient cherchait la faille, ce petit oubli qui allait tout faire capoter au dernier moment. Ma nuit s’est donc passée en 3 courtes phases qui ont chacune duré entre 30 minutes et 1 heure 30. Autant dire que je n’étais pas vraiment frais. Le voyage en voiture s’est déroulé dans les meilleures conditions jusqu’à Vitry-sur-Seine où nous avons passé la nuit suivante chez Fabien, un cousin de Gilles qui nous a hébergé. Nouvelle nuit difficile avec encore moins d’heures de sommeil que la précédente : ce n’était vraiment pas ce qu’on pouvait espérer juste avant de passer une nuit blanche à pédaler. J’ai généralement besoin de peu de sommeil pour me sentir d’attaque et je m’inquiétais davantage pour les conditions météo qui n’étaient vraiment pas annoncées comme étant favorables.
Une fois arrivés à Chantilly, j’ai finalement pu profiter de quelques heures de détente après le retrait des dossards, le contrôle du matériel et le briefing pour faire une micro sieste peu avant le grand départ. A partir de là, c’était advienne que pourra : on n’a tout de même pas fait tout ça pour ne pas apprécier le moment. Je salue au passage le formidable travail de l’organisation et des bénévoles pour accueillir les 200+ participants dans ce superbe endroit que sont les Halles des Bourgogne, à proximité du sublime Château de Chantilly. Vu de ma fenêtre, c’est véritablement un sans faute sur toute la ligne ! Nous avons même eu la chance de rencontrer et de faire un selfie avec Arnaud Manzanini, le créateur des Race Across Series, ainsi qu’avec Julien Rabier, un autre ultracycliste de renom que je suis depuis un bon moment sur la chaîne Youtube. Pour mon ami Hugo, le fondateur du site GravelPassion à qui j’avais promis que je porterai la tenue aux couleurs de la tribu des passionnés de gravel dont je fais également partie : j’ai pris la pause avec Gilles devant le panneau affichant le nom de tous les participants.
Comme annoncé, le grand départ a eu lieu à 21h55 précises pour ce qui concerne la course des 300 kilomètres : d’abord les quelques 150 concurrents qui s’élançaient en solo toutes les 30 secondes, puis les 40 équipages en duo et pour finir, les quatuors. Chacun et chacune avait droit à son petit moment de gloire en franchissant la ligne de départ sous un tonnerre d’applaudissements. C’est très impressionnant et il n’y a pas bien loin pour se prendre pour un champion, l’espace de quelques secondes. Après moins de 100 mètres de courses, on est tout de suite cueilli par une pente à 11% pour sortir du parc : voilà qui donne le ton pour la suite.
Très vite, nous nous faisons rattraper et déposer par quelques équipages qui jouent le classement général, nous rappelant qu’il s’agit bien officiellement d’une course et non d’une simple promenade : tout le monde n’est pas là pour les mêmes raisons. Notre unique objectif étant de finir dans les délais et de prendre un maximum de plaisir, nous les laissons filer.
Moins de 12 kilomètres après le départ, la pluie s’est mise à tomber et elle n’allait plus nous quitter avant la toute fin de matinée. La météo ne s’était donc pas trompée et la température a, elle aussi, chuté très rapidement. Les conditions étaient donc idéales pour rester éveillé.
Peu après minuit, nous entrions dans la capitale par le Nord-Ouest et traversions rapidement Epinay-sur-Seine, Gennevilliers, Courbevoie, Suresnes, Asnières-sur-Seine, Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux et Auteuil. Des souvenirs enfouis profondément dans un tiroir de ma mémoire ressurgissent soudainement en masse puisque j’ai travaillé à Nanterre pendant plusieurs années avant de partir pour la Suisse. La traversée du Bois de Boulogne a été inhabituellement calme, il n’y avait absolument personne dehors car la pluie avait redoublé d’intensité et même la circulation était très fluide. La traversée de Paris devient néanmoins plutôt dangereuse au fur et à mesure que nous avançons vers le cœur de la capitale. En arrivant à proximité de la Tour Eiffel, une petite halte s’impose pour la photo souvenir que personne ne veut manquer, même si celle-ci est faiblement éclairée. De petits pelotons se forment plus ou moins involontairement : le drafting est interdit sur l’épreuve et pourrait entraîner des pénalités de temps, voire la disqualification. Les feux rouges sont presque systématiquement grillés car il y a peu de circulation et des feux, il y en a à peu près tous les 100 mètres.
Même en pleine nuit, je reconnais la plupart des lieux traversés comme l’Assemblée Nationale, l’Hôtel de ville, les Tuileries ou Notre-Dame, mais curieusement je passe complètement à côté du Louvre, à la grande déception de Gilles. Nous quittons enfin les rues les plus animées de Paris pour rejoindre les pistes cyclables des bords de Seine jusqu’à Joinville-le-Pont où nous troquons la Seine contre la Marne. De la lumière, nous passons presque instantanément à la pénombre. Ici, commence une nouvelle aventure dans l’aventure. Au fil des kilomètres, nous rattrapons de nombreux équipages victimes de crevaisons et chacun répare comme il peut au bord de la route ou du chemin, toujours sous la pluie.
Un équipage nous informe qu’il a été averti par un SMS émis par le PC de sécurité de l’existence d’une coulée de boue au km 92. Nous redoublons donc de vigilance car elle a provoqué des chutes. Nous croisons l’une des victimes qui a explosé sa manette droite, celle de frein arrière et de son dérailleur. Pour lui, la course s’arrête ici mais le pilote s’en sort bien puisqu’il n’est pas blessé. A ce moment, j’étais encore loin de me douter des conséquences que cette boue allait avoir sur ma propre course…
La parcours reste assez plat en passant par Bry-sur-Marne, Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne et Torcy mais le profil du parcours change radicalement à la sortie de Gouvernes avec une première côte dont le pourcentage ne dépasse pas 5 ou 6%, puis une deuxième, un peu plus pentue entre La Chapelle-sur-Crécy et La Haute-Maison et enfin un dernier petit mur à 10% jusqu’à Jouarre. Rien de très méchant en somme mais mon pauvre Gilles est déjà un peu à la peine, de toute évidence insuffisamment préparé, et cela ne vas pas allé en s’améliorant au fil des kilomètres. Au contraire de notre dernière sortie longue sur le parcours du BRM 200 de Muret, je l’attends au sommet de chaque côte ou j’entame la descente au ralenti afin qu’il puisse recoller. Gilles est un battant, il ne lâche pas l’affaire et malgré une petite alerte au milieu de la nuit, je n’ai jamais douté un seul instant qu’il finirait la RAP : il ira la chercher au moral, s’il le faut.
A partir du km 150, ce sont de véritables petites montagnes russes, de petites côtes plus ou moins difficiles qui s’enchaînent jusqu’à Château-Thierry, la ville où nous avons décidé de faire une pause afin de nous ravitailler. Le jour s’est progressivement levé et nous trouvons sans mal une boulangerie mais malheureusement aucun endroit où s’asseoir pour déguster nos viennoiseries. Mon petit pain au chocolat blanc et extraits de rose est tellement bon que je ne peux m’empêcher de féliciter le boulanger, hilare d’être ainsi félicité. Le café allongé tombe littéralement dans les chaussettes et nous réchauffe jusqu’au bout des doigts de pieds. C’est simple, le bonheur, d’autant que la pluie cesse enfin de tomber pendant une heure ou deux, laissant même la place à quelques timides rayons de soleil.
Gilles qui n’a jamais fait de nocturne jusqu’à ce jour est surpris d’avoir passé la nuit aussi facilement et je le suis presque tout autant car je réalise que je n’ai pas véritablement dormi plus de deux heures consécutives depuis trois jours. Un concurrent qui avait terminé la course des 1000 km m’avait confié que l’endroit où il avait le plus souffert était la côte située à la sortie de Château-Thierry et effectivement, nous avons pu vérifier qu’elle piquait un peu plus que les autres. Les quelques côtes suivantes étaient plus ou moins du même tonneau mais aucune ne dépassait 8%, donc ça se monte assez facilement assis et sans devoir chercher les plus grands pignons. A partir de la proximité de Villers-Cotterêts, nous savons que le plus dur est maintenant derrière nous et qu’après une longue portion de route relativement plate, une dernière difficulté nous attendait avant que la boucle soit bouclée. Gilles m’avouait qu’il aurait aimé finir avec une moyenne horaire supérieure à 20 km/h en temps de déplacement, ce qui me semblait largement atteignable, mais c’était sans compter sur ce fichu boîtier de pédalier qui allait une nouvelle fois me jouer un mauvais tour à 65 km de la fin. La coulée de boue traversée au premier tiers du parcours a, selon toute vraisemblance, attaqué les roulements et des craquements inquiétants à chaque tour de manivelles nous ont fait craindre le pire jusqu’au bout, nous contraignant à nous arrêter à plusieurs reprises pour tenter de nettoyer. Rien n’y a fait, si ce n’est l’orage en fin de course et les violentes averses durant lesquelles les craquements se sont temporairement espacés. J’ai bien cru que j’allais devoir abandonner à quelques dizaines de kilomètres du but mais finalement, nous avons retrouvé Chantilly sans casse après une interminable et exigeante fin de parcours.
Un grand bravo à toi, mon Gillou : on pourra dire que tu es allé la chercher au mental, celle-là ! Entre 14 et 16 heures de selle sous la pluie et par des températures ressenties proches de 2 ou 3° par moment, ce n’est pas rien. Nous y reviendrons peut-être tous les deux pour tenter le 500K ou, pourquoi pas le 1000 ? Mais pour l’heure, après avoir récupéré nos trophées et posé pour la postérité face au photographe, l’urgent était de prendre une bonne douche, d’enfiler des vêtements propres et secs et de retrouver quelques couleurs en dévorant le repas offert aux Finishers. Ce moment restera sans doute longtemps gravé dans nos mémoires, d’autant plus qu’à ma grande surprise, un email de l’organisation nous félicite et m’apprend que je finis premier de ma catégorie d’âge. Je n’étais pas venu pour faire un temps, encore moins pour chercher une quelconque distinction mais c’est toujours flatteur.
Prochain challenge : rentrer sur Cépet dans la nuit en nous relayant régulièrement. Mais ça, c’est déjà une autre histoire !
6 commentaires
Alphonse FONTANG
Bravo à vous deux pour cet exploit. Merci pour ce reportage très complet. La photo du matériel est très instructive : elle permet de se rendre compte de ce qu’il faut pour ce genre de périple.
C’est une très belle aventure ! Bravo et toutes mes félicitations.
Jack
Merci Alphonse.
Pour te répondre concernant le matériel, je suis assez partagé à posteriori. Je n’hésite pas à me charger quand j’ai un doute car avec mon gabarit, un kilo de plus ou de moins ne change plus rien. Mais tout n’est pas indispensable quand on a les bonnes infos au départ (météo, ravitos en eau et en solide). La carte bleue pèse moins lourd qu’une tente, un matelas et un sac de couchage, par exemple). La seule chose vraiment indispensable, c’est le paquet de bonbons Haribo 😁 Même Gillou qui n’est pas un grand fan a fini par taper dans le paquet. Demandez à Sherry Cardona, une ultrabikeuse avec qui je discute souvent, c’est bon pour le moral 😜
Malinovsky Alain
Fabuleux et bravo pour ce long résumé qui ne lasse pas. Tu es au top et premier de la course dans ta catégorie 👏👏👏👏👏👏
Jack
Avec un fan club comme le nôtre, on ne pouvait pas se permettre de faire moins bien. On aurait même pu faire mieux sans le problèmes techniques de fin de parcours mais ce n’était pas le but.
Merci pour ton indéfectible support, Alain.
Thierry
Bravo à tous les deux pour ce beau périple et ce partage !
Jack
Merci président directeur génial. Tu y étais aussi, dans mes pensées. C’est quand même grâce à toi et à tous les amis d’Ô Gravel que je fais encore du vélo aujourd’hui, sans oublier que c’est aussi sur ton ex-fidèle destrier que la balade s’est effectuée. Parfois, le petit Stiffy me disait d’appuyer un peu plus fort sur les pédales, papa regarde peut-être. 😁